Les négociations avec la Chine
En 1951, un an après que les soldats chinois aient pénétré au Centre du Tibet, une délégation de diplomates tibétains est envoyée à Beijing afin de négocier une solution au conflit. À ce moment, la délégation se voit contrainte à signer l’accord en 17 points sous la menace d’une invasion complète du Tibet. L’accord détaille les termes par lesquels le Tibet doit céder sa souveraineté sur ses affaires extérieures à la Chine. Selon la loi internationale, un accord n’est pas valide s’il est obtenu par une menace ou par la force. En l’espace de quelques jours, le gouvernement du Tibet à Lhassa s’est retiré des termes et conditions de l’accord en 17 points.
Même si les autorités à Beijing n’ont jamais reconnu le retrait de l’accord par le Tibet et qu’ils continuent d’insister que l’accord est toujours valide, ils violent systématiquement toutes les provisions du contrat lui-même. De 1951 à 1959, le nombre de soldats chinois n’a fait qu’augmenter, permettant aux fonctionnaires chinois de prendre le pouvoir par la force. En mars 1959, la situation explosive se transforme en révolte.
Après l’établissement de son gouvernement en exile, le dalaï-lama se penche sur la création d’un dialogue avec Beijing pour la fin du conflit et de la souffrance de sa patrie.
La solution autonomiste: la théorie du système chinois «d’autonomie régionale et ethnique»
Selon le cadre du programme «d’autonomie régionale et ethnique», le statut d’autonomie est octroyé aux minorités qui résident dans des communautés culturelles. Ce statut est défini par la Constitution et par la loi sur l’autonomie régionale et ethnique qui est le pilier des droits à l’autonomie en Chine. Le statut d’autonomie existe seulement dans la Région autonome du Tibet (RAT) et dans les provinces avoisinantes du plateau tibétain telles que Qinghai, Sichuan, Gansu et Yunnan.
Les limites du système d’autonomie régionale
Le concept d’«autonomie régionale et ethnique» ne représente qu’un idéal à ce stade. Les zones autonomes sont redevables au gouvernement central et elles doivent demander une autorisation pour voter de nouveaux règlements. À tout moment, les zones autonomes doivent faire passer les intérêts de la nation au-dessus de leurs propres intérêts. L’implantation d’une véritable autonomie au Tibet a été entravée par le manque de financement du gouvernement, la négligence et la corruption du gouvernement local ainsi que la discrimination raciale contre les Tibétains.
Même lorsque les Tibétains occupent des postes d’autorité, ils sont éclipsés par des cadres supérieurs chinois. La division raciale est très évidente dans le tout puissant Parti communiste qui administre toutes les bureaucraties locales.
Dans la RAT, les politiques sociales et économiques sont déterminées par les autorités centrales, alors que les autres zones tibétaines se retrouvent sous l’autorité des provinces non-autonomes dans lesquelles elles se situent. Aucun recours légal explicite n’existe pour la violation des droits à l’autonomie. De plus, la migration illimitée des non-Tibétains souligne le manque de durabilité du projet autonomiste.
Sous l’occupation chinoise, les Tibétains sont privés de leurs droits incluant celui à l’auto-détermination. Entre temps, la langue, la culture et l’identité spirituelle distinctes des Tibétains sont menacées par le déluge migratoire chinois et les nombreuses politiques d’assimilation. Les solutions à ces menaces sont au coeur de la lutte du chef tibétain exilé, 14ième dalaï-lama.
Des pas vers la négociation
Depuis les années 80, le dalaï-lama demande une véritable autonomie pour les Tibétains. En 2006, lors de sa déclaration annuelle pour commémorer la révolte nationale tibétaine du 10 mars, le dalaï-lama dit «Je l’ai déjà dit plusieurs fois que je ne tiens pas à la séparation du Tibet de la Chine, je désire plutôt travailler à l’intérieur du cadre de la constitution chinoise. »
En septembre 2002, une délégation de 4 personnes menée par l’émissaire du dalaï-lama, M. Lodi Gyari, voyage à plusieurs endroits en Chine et au Tibet incluant Beijing et Lhassa. L’objectif premier de cette visite était de «ré-établir un contact direct avec les autorités chinoises et de créer un cadre dans lequel de futures réunions pourraient avoir lieu dans une ambiance agréable. Un cadre dans lequel Sa Sainteté le dalaï-lama préconise l’approche de la voie médiane pour résoudre le conflit tibétain.»
La délégation est revenue en 2003, 2004, 2005, 2006, et 2007.
Les discussions n’ont rien produit de concret et les autorités chinoises continuent d’attaquer le dalaï-lama sur la place publique.
Toutefois, il est fort probable que les autorités chinoises ne font que gagner du temps pour s’assurer de recevoir le plus de concessions possibles lorsque les vraies négociations commenceront. En effet, Monsieur Gyari note que les autorités chinoises admettent maintenant que plusieurs questions sur le Tibet n’ont pas été réglées: « Par le passé, ils disaient: la question du Tibet n’existe pas, les Tibétains devraient se réjouir d’être libres ». Dans un communiqué émis après une négociation en 2006, la délégation tibétaine a déclaré « nos homologues chinois nous ont clairement indiqué leur intérêt à poursuivre ce processus et ils croient fermement que nous pouvons surmonter ensemble les obstacles en continuant ce dialogue et en prenant des engagements ». Depuis la dernière ronde de dialogue au mois de juin, Gyari a déclaré « Nos discussions sont arrivées à la croisée des chemins. Nous avons communiqué nos préoccupations sur la situation au Tibet dans les termes les plus forts et nous avons proposé des solutions réelles qui doivent être implantées par le gouvernement chinois s’il désire poursuivre et faire progresser ce dialogue. »
La position actuelle du dalaï-lama
Récemment, le dalaï-lama s’est mis à revendiquer les droits culturels, écologiques et religieux laissant de côté les préoccupations économiques et politiques. Dans un communiqué daté du 10 mars 2007, il dit « il est vrai que la constitution chinoise garantit une autonomie régionale aux minorités nationales. Le véritable problème est que cette autonomie n’a jamais été complètement appliquée. Cette autonomie manque aux engagements constitutionnels de protéger et préserver l’identité, la culture et la langue distinctes des minorités nationales. »
La nouvelle approche du dalaï-lama reflète le désir de répondre aux préoccupations des autorités chinoises:
- Démilitarisation: le dalaï-lama indique que la démilitarisation du Tibet est un objectif et non une exigence.
- Colons: le dalaï-lama ne demande pas aux non-Tibétains de se retirer du Tibet.
- Frontières: le dalaï-lama n’exige plus l’extension du TAR (créé en 1965) pour y inclure les autres régions autonomes du Tibet (désignées selon la Chine) comme les provinces du Sichuan, Yunnan, Gansu et Qinghai. Toutefois, l’autonomie pour tous les Tibétains est exigée. Les Tibétains définissent le Tibet comme le Tibet ethnographique incluant toutes les régions du Tibet situées sur le plateau tibétain à l’intérieur de la République populaire de la Chine.
- Indépendance historique: le dalaï-lama maintient l’indépendance historique du Tibet mais n’insiste pas pour que la Chine la reconnaisse et invite les autorités chinoises à mettre de côté cette divergence de points de vue historiques pour pouvoir trouver une solution.
Quelle que soit la forme d’autonomie éventuelle, l’administration centrale du Tibet (le gouvernement du Tibet en exil), à Dharamsala en Inde, appuie le dalaï-lama. Cette proposition n’est pas appuyée par les Tibétains indépendantistes.
La politique de la Chine au Tibet n’est pas irréversible
Selon un rapport sur la progression des négociations sur le Tibet, diffusé en avril 2007, le manque de résolutions dans ce dossier représente « une source interne de tensions pour la Chine et un futur obstacle pour les États-Unis et les autres pays qui voudront négocier des accords économiques et politiques avec la Chine. » Le 26 octobre 2007,une commission européenne déclare que « l’UE a toujours indiqué que la seule manière d’arriver à résoudre la question du Tibet est d’établir un véritable dialogue entre le dalaï-lama et les autorités chinoises. »
Il est vrai que de refaire 50 ans d’histoire chinoise en sol tibétain est un défi de taille. Mais il serait faux de penser que la Chine n’est pas prête à s’engager fondamentalement pour changer la situation.
L’attribution d’une véritable autonomie au Tibet, avec le consentement du dalaï-lama, redorerait l’image de la Chine lorsqu’elle déclare être un État stable multiethnique. Même si l’armée d’occupation s’est transformée depuis longtemps en force de l’ordre, les coûts d’entretien d’une force policière sur le plateau tibétain sont énormes pour la Chine autant en ce qui concerne son budget que son image. Finalement, une solution équitable évitera les critiques internes sur les politiques gouvernementales au Tibet qui viendront au fur et à mesure que la société civile se développera en Chine.